Un sanctuaire discret sur les rives du lac Tanganyika
Au nord-ouest de la Tanzanie, niché entre les pentes escarpées de la vallée du Rift et les eaux cristallines du lac Tanganyika, se trouve un parc national peu connu mais exceptionnel : le parc de Gombe. Accessible uniquement par bateau, ce petit bout de forêt luxuriante offre une expérience à part, bien différente des vastes plaines du Serengeti ou des marécages du Selous. Ici, pas de grandes migrations ni de prédateurs emblématiques… mais une immersion rare dans le monde fascinant de nos cousins les plus proches : les chimpanzés.
Ce parc est intimement lié au nom de Jane Goodall, la célèbre primatologue britannique qui y a mené, dès les années 1960, ses premières recherches de terrain. Aujourd’hui encore, son équipe continue de suivre plusieurs familles de chimpanzés. Gombe est donc bien plus qu’un site naturel : c’est une page vivante de la recherche scientifique et de la conservation.
Comment y accéder ? Une aventure en soi
Gombe n’est pas une destination facile d’accès, et c’est justement ce qui en fait sa force. Pour s’y rendre, il faut rejoindre Kigoma, une petite ville poussiéreuse au bord du lac Tanganyika (vol intérieur possible depuis Dar es Salaam ou Arusha). De là, on embarque sur un bateau – type pirogue motorisée ou vedette rapide – pour une traversée d’environ 1h à 2h selon la météo et le type d’embarcation.
Lors de mon passage, j’ai opté pour le bateau rapide fourni par le parc. Les premières lueurs matinales éclairaient doucement les collines vert tendre alors que nous glissions sur l’eau, frayant avec les pêcheurs au large, leur filet à la main et les yeux rivés sur le lac. Une fois la côte atteinte, le calme est saisissant. Seuls quelques cris d’animaux résonnent depuis la forêt voisine.
Le cœur de l’expérience : suivre les chimpanzés
Chaque matin, les guides du parc partent très tôt pour repérer les groupes de chimpanzés déjà habitués à la présence humaine (habitués ne veut pas dire apprivoisés, loin de là). Une fois qu’un groupe est localisé, la rando démarre. Il faut être en forme : le terrain est escarpé, souvent humide, et les sentiers plutôt improvisés qu’aménagés.
Nous avons passé plus de deux heures à grimper sous une chaleur lourde avant d’entendre enfin les fameux « hoo-hoo » si caractéristiques. Un premier individu est apparu entre deux troncs : un mâle imposant, assis nonchalamment, les yeux posés sur nous sans agitation. Puis, petit à petit, les feuillages ont laissé entrevoir d’autres membres du groupe : une femelle avec un juvénile accroché à son ventre, deux jeunes qui jouaient à se poursuivre.
Ce moment reste gravé. On les observe à distance respectable, sans bruit ni gestes brusques, parfois juste assis à les regarder vivre. Pas d’enclos, pas de cages. Ici, c’est nous les intrus. Leurs expressions, leurs interactions, leur façon de grimacer ou de se chamailler… tout nous rappelle leur proximité avec nous, dans ce qui fait l’humanité même.
Autres espèces et intérêt écologique du parc
Si les chimpanzés sont les superstars de Gombe, la forêt recèle bien d’autres trésors. Plus de 200 espèces d’oiseaux y sont recensées : calao à bec noir, touraco violet, martin-pêcheur, entre autres. On croise aussi des babouins, des cercopithèques, ainsi que les très discrets colobes rouges.
Le parc, bien que petit (seulement 35 km²), joue un rôle vital dans la conservation de cet habitat forestier restreint, menacé ailleurs par l’agriculture et la déforestation. Du fait de sa configuration en « couloir vert » le long du lac, Gombe permet la préservation d’espèces végétales typiques des forêts tropicales humides, mais aussi un suivi génétique précieux des chimpanzés sur plusieurs générations.
Conditions d’observation et réglementation
Les rencontres avec les chimpanzés sont soumises à des règles strictes :
- Un maximum de 6 personnes par groupe afin de limiter le dérangement.
- Observation quotidienne limitée à une heure.
- Distance minimale à respecter (environ 10 mètres).
- Interdiction de consommer de la nourriture à proximité des animaux.
- Toute personne présentant un symptôme grippal se verra interdire l’accès aux pistes (chimpanzés très sensibles aux virus humains).
C’est encadré, mais justifié. On est ici pour observer de manière responsable. Pas question de selfie ou d’attroupement touristique comme on le voit ailleurs. Et c’est tant mieux.
Où loger à Gombe ? Options limitées mais authentiques
Sur place, les hébergements sont peu nombreux, mais suffisamment confortables pour profiter de l’environnement sans se couper du moment. Il y a le Gombe Forest Lodge, le plus « haut de gamme », avec des tentes sur pilotis orientées vers le lac. Rustique mais propre, avec douches chaudes à énergie solaire. Les repas sont copieux et simples.
Pour les budgets plus modestes, il existe un resthouse géré par les autorités du parc, au confort sommaire mais très bien situé. J’avais opté pour cette solution, et malgré les moustiquaires approximatives et l’électricité par intermittence, je garde un excellent souvenir de ces nuits bercées par le ressac du lac et les cris des chimpanzés au loin.
Meilleure période pour visiter Gombe
Le parc est accessible toute l’année, mais la meilleure période pour observer les chimpanzés reste la saison sèche, de juin à octobre. La végétation est alors moins dense, facilitant les déplacements et la visibilité. Attention toutefois : le nombre de visiteurs étant limité quotidiennement, mieux vaut réserver à l’avance.
La saison verte, de novembre à avril, ravira les ornithologues : les oiseaux migrateurs y sont nombreux et les couleurs luxuriantes. En revanche, il faut composer avec les pluies abondantes et un terrain glissant.
Quelques conseils pratiques avant de partir
- Prenez des chaussures de randonnée fermées et antidérapantes. C’est un minimum.
- Ne négligez pas la protection contre les moustiques : longue tenue, répulsif, traitement préventif contre le paludisme.
- Pensez à votre visa pour la Tanzanie en amont, surtout si vous transitez par d’autres pays.
- Appareils photo autorisés, mais sans flash évidemment. Objectif de 100-300 mm recommandé.
- N’oubliez pas d’avoir du cash à Kigoma : peu d’options de retrait ou paiement par carte.
Un voyage de transformation
Gombe n’est pas un lieu que l’on visite par hasard. Il faut le vouloir. Il faut s’en donner les moyens, aussi – logistique, temps, parfois budget. Mais ce que l’on vit là-bas est profond. Sincère. Presque brut. On repart changé. Moins centré, peut-être. Plus conscient, sûrement.
Chacune de mes expéditions en Afrique m’a offert son lot d’aventures et de révélations, mais celle-ci tient une place toute spéciale. Observer, respirer, écouter les forêts de Gombe, c’est s’immerger dans quelque chose d’atavique. C’est retrouver une part enfouie de nous-mêmes. Et croyez-moi, cela vaut bien chaque ampoule au pied et chaque insecte inattendu dans les draps…